Rapport sur la situation sécuritaire dans le Kivu et en Ituri

La situation sécuritaire dans les provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu et de l’Ituri dans l’est de la République démocratique du Congo est très instable depuis près de 25 ans. Le 6 mai 2021, le président Félix Tshisekedi a décrété l’état de siège dans le Nord-Kivu (est) et l’Ituri (nord-est) dans l’objectif de mettre fin à l’activisme des groupes armés notamment les rebelles de Forces démocratiques alliées (ADF). Non concernée par cette mesure exceptionnelle, la province voisine du Sud-Kivu est aussi en proie à l’insécurité, marquée par des conflits à caractère communautaire, spécialement dans les Hauts Plateaux du Territoire de Fizi et Uvira, est aussi en proie à l’insécurité, marquée par des conflits nés depuis la guerre de l’AFDL de 1996 conduite par l’APR à dominance Tutsi et qui a commis des nombreux massacres contre les communautés locales non tutsi. Depuis lors, ces dernières s’organisent en force d’auto-défense contre la communauté Banyamulenge appuyé par le Rwanda. D’autres forces négatives comme les FDLR venus du Rwanda, les FNL et Red Tabara venus du Burundi s’associent soit aux Mai Mai soit à la milice formée par les Banyamulenge dans ce cycle des violences infernales.

Malgré la mise en place de l’état de siège dans les deux premières provinces et la forte militarisation de la région, les résultats palpables tardent à venir. De nombreuses voix s’élèvent pour demander que le Gouvernement y mette fin et qu’il adopte d’autres stratégies pour éradiquer ces forces négatives. Les députés nationaux de ces provinces ont, au cours du mois d’Aout, refusé de prendre part aux plénières de l’Assemblée Nationale et exigeait évaluation avant de voter de nouvelles prorogations de l’État de siège.

  • Province du Nord-Kivu
  1. Avant l’état de siège

Le Nord-Kivu est l’une des provinces les plus instables de la RDC. Des dizaines de groupes armés locaux et étrangers s’y affrontent pour le contrôle des régions riches en ressources naturelles depuis la décennie 90. Des attaques visant des civils, des villages et des positions de l’armée y sont régulièrement rapportés. Excédé par cette situation, le président Félix Tshisekedi a placé, le 6 mai 2021, la province du Nord-Kivu sous le régime de l’état de siège dans l’objectif de mettre fin à l’activisme des groupes armés, notamment les ADF (Allied Democratic Forces) qui terrorisent et massacrent des milliers de civils. Implantés depuis 1995 en RDC, l’ADF, une insurrection dirigée en grande partie par des opposants ougandais au régime de Yoweri Museveni, est considérée comme la plus meurtrière de la centaine des groupes armés sévissant dans l’Est.

A) Depuis l’état de siège le 6 mai 2021

Après avoir placé le Nord-Kivu sous le régime exceptionnel de l’état de siège, le président Tshisekedi a nommé les officiers de l’armée et de la police à la tête de la province (gouverneur, vice-gouverneur, administrateur de territoire) en remplacement des autorités civiles. Les appels à la reddition lancés au début par les autorités militaires n’a pas permis de sortir la grande majorité des miliciens et leurs chefs de la forêt.  Sur terrain, les attaques se poursuivent et même avec une ampleur remarquable depuis septembre 2020.

Cependant, aucune opération militaire d’envergure n’a été effectivement lancée par les unités des Forces armées de la RDC (FARDC). Faute du démantèlement de leur réseau, les rebelles ADF ont plutôt réussi à renforcer leur activisme et ont érigé leurs bases dans une zone située à l’est de la route nationale n°4, aux confins des provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, où ils occupent plusieurs villages près du parc national des Virunga, notamment Mulango, Tondoli, Ibanda, Semuliki, Batonga[1].

Au cours de dernières semaines de 2021, les rebelles ADF multiplient les attaques contre des centres hospitaliers et pharmacies pour s’approvisionner en médicaments. De son côté, l’armée Congolaise avait indiqué avoir « capturé 23 de leurs leaders »[2] Comme l’avait si bien expliqué en octobre le Baromètre sécuritaire de Kivu (KST, en sigle anglais), « la relative accalmie des mois précédents, permise par une stratégie diplomatique des autorités militaires, semble s’essouffler : le nombre de redditions est en baisse et les violences sont reparties à la hausse ».

  • Ituri
  1. Avant l’état de siège

Après pratiquement vingt années d’accalmie, l’Ituri a renoué avec les violences depuis décembre 2017, avec l’avènement de la milice Codeco (Coopérative pour le développement du Congo), qui prétend défendre les intérêts des Lendu, une des communautés de cette province aurifère, minée par des conflits communautaires.

  1. Depuis l’état de siège

Depuis le 6 mai 2021, l’Ituri comme la province voisine du Nord-Kivu est placée en état de siège, mesure exceptionnelle destinée à lutter efficacement contre les groupes armés. Cependant, les attaques contre les forces de l’ordre, les massacres et enlèvements de civils se poursuivent. Les responsables de la société civile locale affirment souvent alerter les autorités sur des menaces d’attaques sans que ces dernières réagissent promptement pour éloigner la menace, tandis que les militaires interviennent souvent en retard.

Ainsi, ce fut par exemple le cas avec l’attaque des ADF contre les localités de Boga et Tchabi dans la nuit du 30 au 31 mai 2021 et qui avait fait 57 morts parmi les civils. Les camps des déplacés sont devenus la cible des attaques. Ainsi, fin novembre 2021, en moins d’une semaine d’intervalle, au moins 51 personnes ont été tuées dans l’attaque de deux sites de déplacés.

Les miliciens du groupe Codeco dont l’activisme avait sensiblement baissé depuis mi-2019 ont multiplié des attaques ces dernières semaines en ciblant essentiellement les localités habitées par les Hema. En Ituri, outre le groupe armé  Codeco qui compte aujourd’hui plusieurs factions (sans commandement unique), il existe plusieurs autres milices dont les Chini ya Kilima – FPIC  (Force Patriotique et intégrationniste du Congo), une milice qui prétend défendre les intérêts des Bira, une autre des communautés de l’Ituri ou encore l’Union des révolutionnaires pour la défense du peuple congolais (URDPC).

La milice URDPC a été accusé d’être impliquée dans plus de 182 incidents violents entre avril et novembre, avec au moins 180 personnes tuées. Pendant la même période les ADF ont tué au moins 600 civils dans la même zone[3]. L’instauration de l’état de siège n’a pas changé grand-chose sur le terrain en ce qui concerne le rapport des forces. Dans ce contexte, du 10 au 12 octobre dernier, 28 militaires congolais ont été tués dans des affrontements avec la milice URDPC dans les villages de Nyangarai, Lipri et Ngongo[4].

  • Opérations conjointes des armées Ougandaise et Congolaise dans le Nord-Kivu et l’Ituri

Depuis le 30 novembre Uganda People Defence Forces (UPDF, l’armée Ougandaise) et les Forces armées de la RDC (FARDC) mènent des opérations militaires conjointes contre les positions des rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF) dans le Nord-Kivu et l’Ituri.  Cette intervention de l’armée ougandaise en RDC a été déclenchée avec l’accord du président Félix Tshisekedi. Les tirs d’artilleries et les bombardements ont été déclenchés sans avertir des populations locales et certains habitants semblent avoir été pris de court dans cette zone agricole.

La présence de l’armée ougandaise sur le sol congolais est accueillie avec une certaine méfiance au sein de la population congolaise qui n’a pas oublié le passé tumultueux entre la RDC et ses voisins, notamment le Rwanda et l’Ouganda. Ces deux pays ont joué des rôles majeurs dans la déstabilisation de la RDC depuis un quart de siècle. Les deux s’étaient affrontées en Juin 2020 sur le sol congolais à Kisangani dans une guerre surnommée « la guerre de six jours ». Au cours de cette guerre des nombreux civils ont été tués  et infrastructures détruites.

Plusieurs semaines après le déclenchement de cette opération militaire dite « conjointe », il est difficile de dire si les cibles ont été réellement atteintes. Il est également difficile de connaître le bilan exact de cette opération bien que les armées congolaise et ougandaise disent avoir pilonné les fiefs supposés des rebelles des ADF. En termes de bilan, le 10 décembre 2021, les deux armés ont affirmé que « 4 bivouacs ennemis ont été détruits, 31 otages congolais libérés et 34 ADF capturés »[5].

Le 12 janvier 2022, un des fondateurs des ADF, Benjamin Kisokeranio, a été arrêté dans la région de Uvira (Sud-Kivu), hors de la zone où les deux armées mènent des opérations. Proche de l’ancien chef ADF Jamil Mukulu, Benjamin Kisokeranio était officiellement le chef des renseignements des ADF jusqu’en 2019.

  • Sud-Kivu

Plus au sud, dans la province du Sud-Kivu, qui elle n’est pas placée en état de siège, des attaques meurtrières avec incendies de maisons attribuées aux milices d’autodéfense (Maï-Maï) sont régulièrement rapportées. De son côté, l’armée congolaise a poursuivi sa traque des groupes armés avec un certain succès. Cependant, des appels à la haine ont encore été lancés entre les communautés.

Ainsi, mi-novembre, l’armée congolaise avait annoncé qu’au moins six personnes avaient été tuées et sept autres blessées dans une opération menée par la « coalition Ngumino Twigwaneho », une milice composée de Banyamulenge, prétendument en représailles aux attaques des milices des communautés rivales.

Conclusion 

Depuis sa prise de fonction en janvier 2019, le président Félix Tshisekedi est plus dans une approche très militarisée dans la résolution de la crise sécuritaire dans l’est de la RDC. C’est dans ce contexte qu’il a décrété l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri le 6 mai. Cette mesure exceptionnelle a déjà été prorogée plusieurs fois au parlement bien que près de 200 députés ne participent jamais à ce vote de prorogation.

Plusieurs mois après la mise en place de l’état de siège, l’est de la RDC (particulièrement les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri) est loin d’être stabilisé. En effet, depuis mai, les attaques et massacres visant les civils se poursuivent et sont devenues quasi quotidiennes dans cette zone, avec un bilan humain et matériel très lourd.  Au moins « 1.546 civils »[6] ont été tués dans les provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri, selon un rapport du Baromètre sécuritaire du Kivu publié en novembre.

La région est aussi devenue selon un article publié le 5 janvier 2022 dans le journal « Le Soir », par Colette Braeckman « le terrain d’opération d’armées étrangères et les populations souffrent toujours autant »[7].

Il s’observe également selon un ancien diplomate Américain à Kinshasa que les armées burundaises et rwandaises mènent des opérations sur le sol Congolais. Les deux pays, d’après cet ancien diplomate utilisent le Nord et le Sud-Kivu comme zones tampons pour traquer respectivement leurs oppositions armées. Au Sud-Kivu, les opposants burundais « soutenus par Kigali pour affaiblir le régime de Bujumbura tandis que des opposants Rwandais dirigés par le général Kayumba Nyamwasa tentent de recruter dans les Haut plateaux au-dessus d’Uvira, ce qui entraine la destruction des villages et du bétails »[8] dans cette région, rapporte Colette Braeckman.

La présence particulièrement de l’armée et de la police rwandaise a suscité des grandes contestations de la population dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, selon plusieurs membres de la société civile et parlementaires de ces deux provinces qui partagent des frontières avec le Rwanda. L’opposition s’insurge également contre les opérations militaires Rwandaises.  Dans une interview avec Jean Noelle Ba-Mwenze pour le compte du journal Allemand Deutsche Welle (DW), Martin Fayulu, le candidat malheureux aux élections présidentielles de 2018 souligne que la présence de l’armée ainsi que la police rwandaise au Nord-Kivu constitue la « concrétisation du plan de balkanisation de la RDC ».[9]

Le 13 décembre dans son traditionnel discours sur l’état de la nation, le président Tshisekedi a de nouveau réaffirmé sa détermination à « ne ménager aucun effort pour restaurer la paix et la sécurité » dans l’est du pays. Mais dans les faits, la situation semble plutôt s’en lisser. Des attaques, des enlèvements, des tueries contre les civils, les villages mais également contre des convois ont été enregistrés.

Personne n’est épargné y compris des travailleurs humanitaires comme ce fut dernièrement le cas pour les équipes des organisations Médecins sans frontières (MSF) et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), cibles d’attaques et d’enlèvement en Ituri et dans le Nord-Kivu.

Après une baisse notable des violences enregistrées au mois d’août dans ces deux provinces, les violences ont nettement augmenté en septembre avec 198 meurtres, soit une hausse de 19% par rapport au mois précédent[10]. Dans son bilan pour le troisième trimestre de l’année, le KST a estimé que « la comparaison avec le trimestre précédent ne permet pas de conclure à une efficacité de l’état de siège instauré en Ituri et dans le Nord-Kivu (…) le nombre de civils tués y est resté remarquablement stable (546 au 3e trimestre 2021, contre 566 au 2e trimestre de la même année), de même que le nombre d’enlèvements (280 contre 273) »[11].

Ainsi, près de neuf mois après son instauration, la mesure exceptionnelle de l’état de siège qui a donné plein pouvoir aux militaires n’a pas produit jusqu’à présent les résultats escomptés dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Au regard des doutes que suscitent l’efficacité de l’état de siège et les multiples contestations qui s’en suivent, le Gouvernement a intérêt à procéder à une évaluation avec les forces vives des provinces concernées pour envisager le désengagement et définir d’autres stratégies pour éradiquer les groupes armés.

Dans l’entre temps, la situation sécuritaire demeure très volatile dans la province voisine du Sud-Kivu.

[1] Témoignages des habitants et de membres de la société civile des localités citées.

[2] https://information.tv5monde.com/afrique/rd-congo-qui-sont-les-rebelles-ougandais-adf-lies-l-organisation-etat-islamique-430377

[3] Rapport du Baromètre sécuritaire du Kivu (Kivu Security Tracker, KST) publié en novembre 2021.

[4] https://blog.kivusecurity.org/fr/tag/ngongo/

[5] Communiqué conjoint des armées congolaise et ougandaise daté du 10 décembre 2021 https://twitter.com/FARDC_off/status/1469586426459213828/photo/1

[6] Rapport du Baromètre sécuritaire du Kivu (Kivu Security Tracker, KST) publié en novembre 2021.

[7] Colette Braeckman, En dépit des promesses, le Congo demeure embourbé, comme le 4×4 du président…

[8] Colette Braeckman, En dépit des promesses, le Congo demeure embourbé, comme le 4×4 du président…

[9] Jean Noelle Ba-Mweze, RDC: des policiers rwandais présents à Goma ?

[10] Etat de siège en RDC : les raison d’un échec  http://afrikarabia.com/wordpress/etat-de-siege-en-rdc-les-raisons-dun-echec/

[11] Rapport du Baromètre sécuritaire du Kivu (Kivu Security Tracker, KST) publié en novembre 2021.