L’EAC (East African Community) devrait étendre le nombre de ses membres à sept au cours de cette année avec la possible admission du Congo-Kinshasa dans le bloc d’ici avril 2022. Les expériences en cours sur le continent africain montrent que la multiplication des accords régionaux ne facilite pas toujours la poursuite, dans la cohérence, de l’agenda de l’intégration régionale et continentale[i].
Pourtant, le continent africain est marqué par la multiplicité des blocs d’intégration. La plupart des Etats africains sont membres de plusieurs communautés d’intégration qui se chevauchent. La coexistence de ces communautés qui ne partagent pas toujours la même trajectoire institutionnelle, les mêmes objectifs économiques et la même cohérence juridique et politique est plus souvent source d’incohérence et de difficultés dans la mise en œuvre de l’agenda de l’intégration au sein des régions[ii]. Au fait, après la SADC, le COMESA et la CEEAC, le Congo-Kinshasa pourra être au mois d’Avril le nouveau membre du bloc EAC. Il intéresse dès lors de se demander si cette énième adhésion à une organisation régionale est nécessaire et bénéfique pour le Congo-Kinshasa qui intègre un bloc dont certains membres sont impliqués dans le pillage de ses ressources et sont régulièrement indexés dans l’insécurité qui sévit dans la partie Est du pays.
A cet égard, il convient de rappeler que le Traité instituant l’EAC a été rédigé pour accueillir les trois pays fondateurs que sont le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie. Créée en 1967, cette Communauté fut dissoute en 1976 avant d’être reconstituée en juillet 2000 par les mêmes trois pays. Plus tard, le Burundi et le Rwanda l’ont rejoint en 2007 et le Soudan du Sud en 2016.
En effet, en ce qui concerne l’imminente adhésion du Congo-Kinshasa à ce bloc, il faut signaler que c’est le 8 juin 2019 que le président congolais a sollicité, dans une lettre adressée à Paul Kagame, alors président en exercice de l’EAC, son adhésion audit bloc. Cette demande a été examinée le 27 février 2021 par les chefs d’Etat de l’EAC qui chargea le conseil des ministres d’entreprendre rapidement une mission de vérification tenant compte des procédures d’adhésion de nouveaux membres. Le lundi 22 novembre 2021 à Arusha, les ministres en charge de l’EAC ont adopté à l’unanimité une décision visant à faire adhérer cet Etat.
L’entérinement de ladite décision est intervenu le 22 décembre 2021 lors du sommet des Chefs d’Etat de l’EAC, ce qui a marqué officiellement le processus d’admission de la RDC à cette Communauté économique. [i] WONDO, J-J, article publié le 22 juillet 2019 sur https://afridest.org intitulé « L’adhésion de la RDC dans l’EAC : les raisons d’un agenda géostratégique caché dicté par le Rwanda ? » [ii] HUGON, P. cité par Jean-Jacques WONDO dans son article « L’adhésion de la RDC dans l’EAC : les raisons d’un agenda géostratégique caché dicté par le Rwanda ? »
Par ailleurs, il est nécessaire de souligner qu’il reste encore quelque trois étapes à franchir pour que le Congo-Kinshasa soit effectivement membre de l’EAC, sept autres phases ayant déjà été franchies. Déjà, au cours de janvier-février 2022, les négociations auront lieu et concerneront le secrétariat permanent de l’EAC et les ministères sectoriels des pays impliqués. Le rapport qui en découlera sera examiné par le Conseil extraordinaire au mois de Mars. Il reviendra alors au Sommet extraordinaire des Chefs d’Etat d’examiner les recommandations adoptées par le Conseil et de prendre la décision sur l’admission du Congo-Kinshasa dans l’EAC.
Dans cette perspective, la présente analyse est une démarche critique réaliste sur l’intégration du Congo-Kinshasa dans l’EAC en exposant les avantages que ce pays peut en tirer ainsi que les inconvénients qui en découlent au regard de la nature actuelle de l’Etat congolais. L’analyse cerne également les différents enjeux et défis inhérents à l’intégration du Congo-Kinshasa dans ce bloc régional. L’article chute par une conclusion qui comprend quelques recommandations formulées à l’endroit de l’Etat congolais. Dans cette optique, il convient encore de rappeler que le premier objectif de ce bloc est de développer des politiques et des programmes visant à agrandir et approfondir la coopération entre les Etats membres dans les domaines politique, économique, social, culturel, de la recherche, de la technologie, de la défense, de la sécurité, des affaires juridiques et judiciaires pour leur bénéfice mutuel. Son deuxième objectif est d’établir entre les Etats membres une union douanière, un marché commun, plus tard une union monétaire et une fédération politique afin de renforcer et de réglementer les relations industrielles, commerciales, infrastructurelles, culturelles, sociales et politiques des Etats membres.[i] Avant de nous plonger dans le vif du sujet, il importe d’ores et déjà d’analyser le poids ou la valeur du Congo-Kinshasa dans la perspective de son adhésion à l’EAC.
- Congo-Kinshasa : regard sur le potentiel et sa valeur ajoutée dans le bloc EAC
Pays immense et doté de richesses géologiques fabuleuses, le Congo-Kinshasa – avec son potentiel agronomique exceptionnel (80 millions de terres arables dont seulement moins de 10% sont actuellement exploités)[ii], énergétique (potentiel hydroélectrique estimé à un million de MW, soit le tiers du continent africain), ses forêts (60% de la superficie du pays est composée de forêts), ses eaux (elles représentent environ 52% des réserves d’eau en Afrique), – est un pays sur lequel il faut compter pour le développement et l’avenir de la région Est, voire de l’Afrique.
Sa population (estimée à plus de 80 voire 100 millions d’habitants) constitue un grand marché qui peut bien faire fleurir les transactions interétatiques et booster l’économie des pays de la région, notamment. Cependant, nonobstant l’abondance des matières premières, le Congo-Kinshasa fait face à une situation politique, sécuritaire, économique et infrastructurelle préoccupante.
Le pays est souvent (si pas toujours) classé aux derniers rangs en ce qui concerne la corruption, l’indice de développement humain, l’espérance de vie, le climat des affaires, … Dans ce pays, il y a un déficit significatif non seulement en termes d’infrastructures routières[iii], hospitalières et éducatives, mais aussi en termes d’incitations économiques. Cette déficience compromet le climat des affaires. La défaillance de l’appareil politico-administratif de l’Etat congolais est alarmante et l’ampleur de la corruption est rebutante.
Certes, l’Etat congolais et ses gouvernants brandissent l’extraordinaire potentiel de ce pays en termes de ses immenses ressources naturelles. Cet aspect mérite une remise en question dans la perspective géoéconomique de la mondialisation. Dans le paradigme du « soft power », les matières minérales ne constituent plus la source de puissance et cèdent la place à la matière grise. Cette dernière procède de l’intelligence technologique qui miniaturise les objets fabriqués, les rend portables, nomades et rend, en conséquence, obsolète l’utilisation de grandes quantités de ces matières premières minérales (minerais divers, hydrocarbures)[iv]. Yuval Harari, PhD en histoire de l’Université d’Oxford et enseignant à l’Université hébraïque de Jérusalem, abonde aussi dans ce même sens en estimant que l’économie mondiale ne se fonde plus sur les matières premières mais sur le savoir[v].
Avec la non stimulation d’une économie de la production et de la transformation des produits locaux, l’exportation des minerais bruts non raffinés et de bois en grumes (produits de rente), l’économie d’importations massives, l’effondrement agricole, l’inexistence d’une élite économique proactive et créatrice de richesses, etc[vi] ; le Congo-Kinshasa est un Etat où l’urgence d’une gouvernance de qualité et d’un leadership développemental s’impose. La précarité de son économie, la détérioration de ses services publics en plus du problème sécuritaire conduisent actuellement à parler d’un Etat dysfonctionnel.
Il affiche encore d’immenses déficiences rendant âpres l’accomplissement des missions régaliennes ainsi que la fonction cardinale de la fourniture des biens et services publics aux citoyens. Cette dimension ayant été explorée, il convient de cerner maintenant les avantages que le Congo-Kinshasa peut tirer de son adhésion à l’EAC. [i] Traité de l’EAC [ii] Chiffres disponibles sur le site https://www.investindrc.cd de l’Agence nationale pour la promotion des investissements. [iii] Selon les chiffres de l’Agence nationale pour la promotion des investissements publiés sur https://www.investindrc.cd , le réseau routier national comprend 152 400km dont plus ou moins 2% sont revêtus. Les routes d’intérêt général sont de 58 125km dont plus ou moins 19,5% en bon état. [iv] BONGELI, E. (2020). Sociologie politique : perspectives africaines, Paris : Harmattan, p.365 [v] HARARI, Y. (2017). Homo deus : une brève histoire de l’avenir, Paris : Ed. Albin Michel, p.21 [vi] BONGELI, E. Op. cti., p.408
- Les quelques avantages de l’adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC
Avec un PIB combiné de 193,7 milliards (statistiques 2019), l’EAC présente un potentiel économique et industriel significatif. Il est l’un des blocs économiques régionaux à la croissance la plus rapide. L’industrie manufacturière, les ports internationaux (Mombasa et Dar es Salam, les aéroports et avions de qualité, les chemins de fer, etc[i] sont des éléments qui déterminent la puissance économique et industrielle de ce bloc.
Adhérer à un tel bloc pourrait permettre d’engranger des bénéfices qui découlent de ce potentiel économique. Par ailleurs, au chapitre des libertés et droits, le bloc EAC revêt un intérêt en ce qu’il facilite : la libre circulation des personnes et des marchandises, la libre circulation de la main-d’œuvre/travailleurs, le droit d’établissement, le droit de séjour, la libre circulation des services et la libre circulation des capitaux.
Les Congolais pourront ainsi circuler librement et exercer le commerce dans la région avec beaucoup de facilités migratoires et douanières. La baisse des prix de certains produits ou services dans l’optique de l’installation des usines et autres manufactures des pays membres de l’EAC dont le Kenya et l’Ouganda à l’Est du pays est un autre avantage que le Congo-Kinshasa peut tirer de cette adhésion. L’amélioration de la coopération économique et politique avec les Etats membres de l’EAC est également un avantage que le Congo peut espérer tirer de son adhésion à ce bloc. Au fait, il sied de rappeler que l’EAC a déjà franchi quelques étapes importantes relatives à l’intégration. C’est le cas, notamment, de la mise en place d’un marché commun intervenue en 2010.
L’union douanière et l’institution d’un passeport électronique sont entre autres mesures prises respectivement en 2014 et 2018. Il y a lieu cependant de faire observer que malgré quelques avancées notables dans le cadre de l’intégration, l’EAC a encore des défis à relever en ce qui concerne notamment la gestion des conflits sécuritaires ou politiques voire économiques entre ses différents membres (Rwanda et Ouganda, Rwanda et Burundi, …). Cela étant éclairé, cernons quelques inconvénients de l’imminente adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC.
- Les inconvénients évidents de l’adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC
A moins de mettre urgemment en place des politiques et mesures en vue de résoudre les tares constatées dans la gouvernance politique, administrative, économique et sécuritaire du pays, l’adhésion à l’EAC présente des inconvénients évidents immédiats, tout comme dans un avenir proche. Il faudra donc que les gestionnaires du Congo-Kinshasa se mettent vite au travail, évitent les écueils que ce genre d’adhésion comporte et apprennent des échecs passés. Bref, qu’ils évitent que le Congo-Kinshasa souffre davantage de ce que Philippe Baumard, Professeur des Universités (Stanford, Ecole Polytechnique), appelle « congruité auto-infligée », qui est le symptôme d’une société qui n’apprend plus de ses échecs[ii].
En variant les angles de vue et les échelles d’observation, il y a lieu de se rendre compte que l’adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC présente quelques inconvénients. L’un de ces inconvénients est le fait de l’insuffisance des exportations. Au fait, l’insuffisance des exportations (le Congo-Kinshasa n’exporte essentiellement que les matières premières à l’état brut, et principalement le cuivre et le cobalt) du pays pourrait faire qu’il soit le grand perdant dans le jeu. L’Ouganda, par exemple, se propose de construire des routes au Congo-Kinshasa qui lui permettront d’exporter ses produits finis dans ce pays. Les travaux d’asphaltage des routes Kasindi-Butembo et Bunagana-Goma ont été lancés par les présidents congolais et ougandais le 16 juin 2021. Le Burundi veut construire, dans le même cadre, un chemin de fer allant de Bujumbura au Maniema. La Tanzanie a déclaré récemment vouloir aussi construire des routes pour bien cerner un vaste marché africain qu’est le Congo-Kinshasa. Elle envisage même un endettement pour réaliser ce projet. Le Rwanda est dans une perspective similaire. L’autre inconvénient est lié au déficit de production. A cause de ce dernier, le pays risque de rien tirer de très bénéfique hormis la libre circulation des personnes et des biens.
Par ailleurs, le marché de l’emploi sera véritablement secoué en faveur notamment de l’Ouganda et du Kenya qui vont avoir beaucoup de débouchés au Congo-Kinshasa. Ce pays dont l’offre de biens et services est insuffisante ne tirera aucun grand profit de cette adhésion sur ce plan. Dans le lot d’inconvénients, il y a également le fait que les devises iront plus dans d’autres pays membres qu’au Congo-Kinshasa dont la production des richesses nouvelles est insuffisante. Dans ce même ordre d’idées, il y a lieu de mentionner le fait que certaines entreprises locales risquent de tomber en faillite à cause de la concurrence. A cet effet, il est important de relever qu’actuellement cette concurrence est âprement vécue dans toutes les provinces de l’Est de ce pays dont les marchés sont inondés des produits importés des pays de l’Est de l’Afrique.
Le développement des entreprises manufacturières locales est donc extrêmement contrarié. Avec l’adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC, cette situation va s’empirer. Du point de vue de la mobilisation des recettes publiques, le Congo-Kinshasa risque de plus perdre que de gagner au regard de la souplesse des services publics et de l’attractivité ou des incitations économiques des pays voisins tels que le Rwanda. Ceci constituerait donc une difficulté de plus dans la mobilisation des recettes pour un pays qui perd déjà beaucoup d’argent par an à cause de l’industrie de la corruption[iii] et des détournements. Avec un budget qui dépend aussi significativement des recettes douanières, le pays se verra dépouillé d’une part non négligeable de ses ressources budgétaires. Le dernier inconvénient à évoquer est le caractère poreux des frontières du pays qui pourrait davantage s’amplifier au détriment des efforts de stabilisation ou de pacification.
Comme le pense Philippe Braud, Professeur émérite des universités à Sciences Po, la constitution d’espaces économiques et politiques intégrés a des incidences directes sur la notion de frontière qu’elle tend à diluer[iv]. A propos, Philippe Hugo, ex directeur de recherche à l’IRIS, estime, pour sa part, que les processus de régionalisation permettent non pas d’effacer mais de dépasser des frontières, de créer des interdépendances frontalières et de neutraliser les tensions[v]. L’Est du Congo-Kinshasa, toujours en proie à l’insécurité et comptant plusieurs groupes armés nationaux et étrangers (y compris les groupes terroristes), reste une zone très sensible au plan sécuritaire. Faire adhérer le pays dans un bloc composé de certains Etats ayant pris part aux guerres ou conflits qui l’ont ravagé est un pari qu’il faut bien négocier et pour lequel il faut prendre les mesures adéquates afin d’éviter que les conséquences n’en soient pas fâcheuses. Ainsi, les enjeux majeurs de l’adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC méritent d’être passés au peigne fin.
- Les enjeux autour de l’adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC
Toute la portée des ambitions géoéconomiques et géostratégiques régionales, avec leurs imbrications mondiales, inhérentes à l’adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC mérite d’être cernée avec lucidité. Les pays comme le Kenya, la Tanzanie et le Rwanda se projettent comme des puissances économico-industrielles, voire militaires. Leurs gouvernants ont fait preuve d’innovation et de propulsion des Etats performants. Ils possèdent donc la cohésion-stabilité politique interne, les capitaux humains, les innovations techno-industrielles, voire les ramifications-partenariats internationaux, propices à la réalisation de leurs auto-projections d’émergence. Sur cet échiquier géoéconomique, le Congo-Kinshasa est dans une vulnérabilité politique et économique qui la présente plus comme un foyer de réalisation des ambitions et desseins économiques et stratégiques des autres pays de la région. En réalité, au plan économique, l’Est du Congo-Kinshasa est déjà un «dumping market » des pays comme le Rwanda, l’Ouganda, et le Kenya. Leurs produits commerciaux inondent les marchés du Grand Kivu et de la Grande Province Orientale.
Sur ce tableau géoéconomique régional, Augustus Nuwagaba, un expert économique ougandais, pense, dans une interview réalisée par la Deutsche Welle (DW), que « les adhésions multiples aux blocs régionaux représentent un risque de stratégie ». Rappelons que le Congo-Kinshasa en sera à une quatrième si son adhésion est effective à l’EAC. « C’est une mauvaise idée qu’un pays soit membre de plusieurs blocs économiques car il y a risque de perdre les intérêts »[vi], poursuit-il.
En revanche, pour certains Etats membres de ce bloc (Kenya, Ouganda, Rwanda, Burundi), l’intégration du Congo-Kinshasa dans l’EAC constitue une belle opportunité pour leurs affaires économiques ainsi que pour les financements de leurs programmes ou projets de développement. Le Congo-Kinshasa va constituer pour eux un vaste marché d’investissement et d’écoulement en raison de ses ressources naturelles et du nombre de ses habitants.
En ce qui concerne, par exemple, le domaine du transport aérien, le Rwanda et le Kenya gagneraient davantage, car leurs services défient toute concurrence avec le Congo-Kinshasa à l’heure actuelle. D’ailleurs, il est même curieux de constater actuellement que le Rwanda, avec sa compagnie Rwandair dont les représentations ont été installées notamment à Goma et à Lubumbashi, agit comme si l’intégration du Congo-Kinshasa dans le bloc EAC était déjà effective. Les Etats membres de l’EAC vont ainsi profiter du marché que présente le Congo-Kinshasa pour fleurir leurs affaires et donner ainsi de l’emploi à leurs concitoyens. Ces Etats pourront aussi continuer l’exploitation des ressources minières ou des matières premières. C’est d’ailleurs le point de vue de Samuel Nyandemo, Professeur d’économie à l’Université de Nairobi, pour qui, je cite : « l’adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC est un avantage de plus pour les Etats membres de ce bloc en termes de marché et de ressources.
Le Congo-Kinshasa dispose aussi d’une grande capacité énergétique. Donc, les pays ayant un déficit en termes d’électricité vont en profiter »[vii].
En outre, il faut signaler que l’enthousiasme intéressé que l’imminente adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC a suscité de la part de certains chefs d’Etat de ce bloc traduit leurs ambitions géostratégiques régionales.
Leurs déclarations tenues lors du Sommet du 22 décembre 2021 qui a eu lieu en visioconférence en disent long. « Je considère l’adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC comme non seulement le succès de ce dernier, mais aussi des opportunités qui restent inexploitées. C’est une affirmation des efforts de la région pour approfondir l’intégration et élargir la coopération », a déclaré, par exemple, le président kenyan lors de ce sommet. Dans la même veine, le président ougandais s’est dit satisfait de l’amélioration du commerce dans la région. Pour sa part, la présidente tanzanienne a fait la déclaration suivante : « Nous connaissons tous l’importance du Congo-Kinshasa dans l’adhésion à notre communauté, car tous les Etats partenaires ont connu leur étroite coopération comme pays limitrophes ou en entretenant des relations commerciales qui amélioreront la prospérité de notre peuple dans la région »[viii]. Il est évident que l’imminente adhésion du Congo-Kinshasa soulève quelques défis.
- Les défis liés à l’adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC
L’adhésion du Congo-Kinshasa à l’EAC soulève quelques défis au premier rang desquels figure l’aspect politique et institutionnel. Adhérer à ce genre de bloc impose l’éclosion d’un Etat relativement fonctionnel, sur fond de la cohésion nationale, avec des institutions performantes, capables d’accomplir efficacement leurs missions légales, socio-économiques, sécuritaires et diplomatiques.
Tout cela constitue un défi majeur à relever dans la situation actuelle du Congo-Kinshasa. Le défi économique, pour sa part, est lié à l’existence d’un cadre juridique non incitatif en ce qui concerne la fiscalité, par exemple. Le manque d’incitations économiques de tout autre genre, les tracasseries administratives, etc constituent entre éléments qui rendent ce défi économique énorme.
Au plan sécuritaire, l’équation est très complexe. Dans un contexte sécuritaire toujours préoccupant à l’Est du Congo-Kinshasa, il est peu probable que cette adhésion apporte des bénéfices au pays avec tous les antécédents fâcheux et l’implication des pays voisins dans le pillage de ses ressources. Dans cette veine, signalons que le Rwanda et le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda sont impliqués dans des combats pour le commerce transfrontalier que le secrétariat de l’EAC n’a pas pu résoudre jusque-là. Le risque que ces pays s’affrontent sur le sol congolais n’est pas exclu. A part ça, il y a l’insécurité devenue presque permanente à l’Est du pays avec l’activisme des groupes armés qui inquiète de plus en plus.
Il n’est ni aisé ni rationnel d’asserter que l’intégration du Congo-Kinshasa dans l’EAC est un projet valide ou invalide même si en termes de balance générale (avantages et inconvénients, enjeux et défis), cet Etat en sortirait plus perdant que gagnant à l’heure actuelle. Pour que le Congo-Kinshasa tire profit de cette adhésion, il va falloir vite qu’il accélère la reconstruction modernisatrice de son Etat, la restructuration techno-innovante de son économie, et surtout la transformation revigorant son appareil sécuritaire grâce à une armée dotée d’une puissance de feu dissuasive.
Dans cette optique aussi, un focus particulier est à accorder à la modernisation des services de l’immigration et des douanes, pour renforcer le contrôle des flux des biens et personnes. Au plan économique, la priorité devrait être accordée, notamment à la réhabilitation et à la construction des infrastructures routières voire celles aéroportuaires, à l’assainissement du climat des affaires, à la recherche des voies et moyens pour rendre l’économie congolaise très compétitive (tous les potentiels du pays devront être mis à contribution). Il faudra également que l’Etat congolais investisse suffisamment dans le savoir, notamment et prioritairement dans le savoir techno-industriel.
En ce qui concerne particulièrement la réforme et la modernisation de l’administration publique des services migratoires et de sécurité, il est important de dire que le renforcement de la capacité étatique passe notamment par cette étape. Il ne faudrait pas perdre de vue que les Etats n’ont ni ami ni ennemi ; ils n’ont que des intérêts. L’Etat congolais doit projeter et matérialiser aussi sa volonté de puissance non seulement régionale, mais aussi continentale, et assurer sa protection et sa défense, sans verser dans la coopération naïve dans la région. En ultime instance, l’Etat congolais doit, par le travail institutionnel efficace soutenu par une gouvernance de qualité et un leadership développemental, être transformé en un Etat capable et professionnel[i], pour paraphraser le Professeur Larry Diamond, afin de tirer profit de son adhésion à l’EAC. L’Etat congolais devra être ainsi capable d’initier et de mettre en œuvre des réformes ou des mesures nécessaires, d’assurer le développement et de maintenir l’ordre et la sécurité.
SHUKURANI M.
Politologue et Chercheur au Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques
[i] WONDO, J-J, article publié le 22 juillet 2019 sur https://afridest.org intitulé « L’adhésion de la RDC dans l’EAC : les raisons d’un agenda géostratégique caché dicté par le Rwanda ? »
[ii] HUGON, P. cité par Jean-Jacques WONDO dans son article « L’adhésion de la RDC dans l’EAC : les raisons d’un agenda géostratégique caché dicté par le Rwanda ? »
[iii] Traité de l’EAC
[iv] Chiffres disponibles sur le site https://www.investindrc.cd de l’Agence nationale pour la promotion des investissements.
[v] Selon les chiffres de l’Agence nationale pour la promotion des investissements publiés sur https://www.investindrc.cd , le réseau routier national comprend 152 400km dont plus ou moins 2% sont revêtus. Les routes d’intérêt général sont de 58 125km dont plus ou moins 19,5% en bon état.
[vi] BONGELI, E. (2020). Sociologie politique : perspectives africaines, Paris : Harmattan, p.365
[vii] HARARI, Y. (2017). Homo deus : une brève histoire de l’avenir, Paris : Ed. Albin Michel, p.21
[viii] BONGELI, E. Op. cti., p.408
[ix] Données tirées sur le site de l’EAC
[x] BAUMARD, P. (2012). Le vide stratégique, Paris : Ed. CNRS
[xi] Le Congo-Kinshasa se classe à la 171ème place sur 183 pays classés dans l’indice de la perception de la corruption selon le rapport publié le 23 janvier 2020 par Transparency International.
[xii] BRAUD, P. (2016). Sociologie politique, Paris : LGDJ, p.162
[xiii] HUGO, P. cité par WONDO, J-J, op. cit.
[xiv] Propos publiés sur le site https://www.dw.com, le 22.12.2021
[xv] Propos publiés sur le site https://www.dw.com, le 22.12.2021
[xvi] Les déclarations des Chefs d’Etat de l’EAC lors du sommet de décembre 2021 sont à lire intégralement sur https://www.theeastafrican.co.ke/.tea/news/east-africa/the-last-three-steps-before-congo-joins-regional-bloc
[xvii] DIAMOND, L. (2020). Ill winds : saving democracy from Russian rage, Chinese ambition, and American complacency, New York: Penguin Books, p.16